L'homme qui ne savait pas dire non, de Serge Joncour

 L'homme qui ne savait pas dire non 
 de Serge Joncour
Flammarion (août 2009)
296 pages


Résumé (4eme de  couverture)

"Parfois le soir, seul devant la glace, il avance ses lèvres pour dire le mot, il les rassemble comme pour une moue ou un demi-baiser, il tend la bouche vers l'avant et cale les incisives pour souffler la décisive consonne, mais là le mot ne vient pas,  il lui reste sur la langue comme un noyau de cerise, un chewing-gum qui refuserait de buller."

On n'imagine pas dans quel embarras de ne plus pouvoir recourir à ce simple petit mot de négation si pratique dans la vie courante. C'est pourtant ce qui arrive à Beaujour, simple employé dans un institut de sondage. Grâce à un atelier d'écriture, il part à la recherche du mot perdu, quitte à remonter toute l'histoire.

Avec la sensibilité qu'on lui connaît, Serge Joncour multiplie les scènes cocasses et compose un véritable roman des origines.

L'auteur

Serge Joncour est l'auteur de sept livres, parmi lesquels UV (Prix France Télévision 2003), L'Idole (Flammarion, 2005), Combien de fois je t'aime (Flammarion, 2008). Ses romans sont traduits en quinze langues. Il collabore à l'émission " Les Papous dans la tête " sur France Culture.

Mon avis:
L'histoire, en apparence,  est simple: Beaujour 40ans, divorcé, des enfants qu'il ne voit qu'un week-end par mois, travaille dans un institut de sondages où il est un employé modèle. Sa particularité: il ne sait pas dire non, non pas qu'il ne veuille pas, mais un jour il se rend compte qu'il ne le peut plus (pas)

On suit donc Beaujour, dans sa vie de tous les jours, avec ses collègues de bureau, ses clients, la femme qu'il a envie de séduire (au restaurant , dans les magasins), dans des situations cocasses voire embarrassantes, incapable de refuser quoique ce soit, et on se met très facilement à la place de notre héros.
Conscient que ceci est un handicqp, et pour tenter  de retrouver ce non perdu, Beaujour va , grâce à l'aide d'un atelier d'écriture , remonter à ses origines et essayer de retrouver son "enfant intérieur


A noter également des passages, (10 broderies de "l'ouvroir des mots perdus), s'intercalant dans l'histoire principale , nous faisant remonter aux origines du premier mot de l'homme, en passant par la Vallée des Lys, lieu de vie des ancêtres de Beaujour et de ses grands parents, jusqu'à l'aménagement de ses parents suite à une expropriation dans une des banlieues nouvelles des années 70. Ces passages constituent une histoire dans l'histoire et sont très intéressants d'un point de vue sociétal.

Au final on se rend compte que Beaujour , n'a pas perdu le non, mais qu'il n'avait pas eu l'occasion de l'acquérir.

Serge Joncour, au delà donc de la simple histoire et des péripéties de son héros, nous offre une vraie critique de la société actuelle,  où l'humain est devenu conditionné à dire oui, à être asservi et où c'est l'homme en général qui a perdu le non, la faculté d'opposition
"Le quotidien est un formidable maître, il tient lieu de raison d'être pour qui sait s'en tenir aux choses simple, il organise le temps sur des parcours bien réglés, régulièrement emprunté, les habitudes lui vont si bien qu'il ne cherche même plus à s'en défaire, il va son bout de chemin, comme tout un chacun fait son oeuvre ou son petit boulot, on se concentre sur son devenir proche, la vie est un fleuve aux rives qui se rapprochent"

Ce livre est également une critique très pertinente des sondages , où on voit que les questions sont faites, sur commande,  en fonction des résultats escomptés
"Mais le drame c'est qu'il va dorénavant bien plus loin que ça, il décide très directement du sort des uns et des autres sans même qu'ils s'en rendent compte, il agit sur le devenir de tout crédule qu'il va visiter et pourrait tout aussi bien, sans que vous ne vous doutiez de rien, vous faire décider de votre nouvelle affectation dans un pays autre, voire même vous amener à solliciter votre propre licenciement"

J'ai donc beaucoup aimé ces différents degrés de lecture

Quant au style, c'est un réel plaisir. et quelle aisance dans les phrases longues,( parfois plus d'une dizaine de lignes)!!
"Lui de son côté, pour s'épargner de sans arrêt répondre oui à tout, pour ne pas prendre le risque de paraître trop coulant, il s'appliquait à être en permanence concentré, les yeux rivés sur son écran, et pour le coup, tout le temps qu'il était à son poste il gardait les yeux fixés sur son ordinateur, il ne faisait que travailler, pas une seconde, il ne perdait son regard vers la fenêtre ou du côté de la jeune femme, sans quoi, c'est sûr, dès qu'elle capterait son attention elle lui demanderait si tout allait bien, s'il avait besoin de ci ou de ça, s'il voulait un café, ou un gâteau, sortir un peu, aller au cinéma, se faire un barbecue coréen à midi, mettre de la musique, lui reboutonner son chemisier, et lui à tout ça, il ne devrait que dire oui à longueur de journée, c'en deviendrait invivable,il perdrait toute personnalité, tout charisme,  tout prestige, pour ne plus être que lui, quoi qu'elle lui demande il s'exécuterait mécaniquement, d'ailleurs spontanément, il avait de toute façon envie de lui dire oui à tout, à cette femme-là, quand bien même il n'aurait pas perdu l'usage de l'adverbe, il n'avait pas d'autre désir que de la combler."

J'ai donc pris un très grand plaisir dans cette lecture qui est mon deuxième coup de coeur pour cette année.
Et j'ai eu la chance de rencontrer Serge Joncour vendredi 12 mars et de participer  à un atelier d'écriture qu'il animait
Et je rajoute bien sûr ses autres romans à ma LAL

18/20 et coup de coeur

Comments

[Véro]

Combien de fois pensons-nous "non" sans le dire ... pas si facile en fait !

[Liyah]

Je le note il a l'air pas mal du tout ! Et puis si c'est un coup de cœur ...
J'ai un livre de cet auteur dans ma PAL depuis des années mais je ne l'ai toujours pas lu !

[Anneso]

et hop un de plus dans la LAL...